Une traversée Groenland – Canada entre deux dépressions

Depuis une bonne dizaine de jours, nous scrutons la météo depuis le sud du Groenland. Nous cherchons une fenêtre qui nous permette de traverser vers Terre-Neuve ou la côte du Labrador. Il nous faut pas moins de 6 jours de vent favorables pour passer dans de bonnes conditions.

Hélas, les dépressions se suivent en permanence. Nous avons l’impression que tous les cyclones remontent mourir par ici. Nous en laissons passer un, dénommé « Franklin », puis décidons de partir avant l’arrivée du suivant.

La fenêtre est courte, nous devons être à l’abri de l’autre côté avant le passage de « Lee ». Pour cela, nous allons quitter le Groenland avec la fin d’une dépression. Le premier jour de navigation risque d’être très chahuté.

Cela ne manque pas. Dès que nous avons quitté la côte du Groenland, nous trouvons trente nœuds de vent établis, des vagues escarpées de quatre à cinq mètres, dont certaines déferlent. Les rafales se succèdent et le pont d’Arthur est balayé par la mer. Le bateau gère très bien ce temps, mais à l’intérieur la situation est bien différente.

Dès la pleine mer, la valse infernale des bassines a commencé. Les trois enfants sont malades et moi, je lutte contre la nausée. En permanence, il faut nettoyer le vomi, passer de l’eau ou des mouchoirs, emmener aux toilettes, réconforter, tout en surveillant attentivement la bonne marche du voilier et les quelques icebergs épars. Nous culpabilisons doublement. D’une part, d’imposer cela aux enfants, d’autre part, de leur en vouloir de drainer toute notre énergie lorsque nous en avons le plus besoin.

Dans ces conditions musclées, notre grand-voile commence à se déchirer. Nous hésitons entre retourner sur la pointe du Groenland pour réparer, ou continuer en soulageant notre voile. Nous décidons finalement de poursuivre notre route car la déchirure semble circonscrite.

Ces premières 24 heures nous épuisent. La houle ne nous permet pas d’allumer le poêle, il fait moins de dix degrés à l’intérieur. Heureusement, les 24 heures suivantes améliorent un peu la situation. Le vent est toujours soutenu mais la houle perd en intensité. Le bateau gîte cependant beaucoup ce qui rend la vie à l’intérieur compliquée et toujours pas de chauffage.

Charlie se sent un peu mieux, couchée dans le carré. Toutefois, Tristan est secoué de spasmes en permanence, il ne garde rien, pelotonné sur le canapé. Axelle se situe entre les deux, dans le fauteuil de quart. Ceux qui le peuvent grignotent quelques carottes et avalent les œufs durs préparés à l’avance en guise de repas.

A l’aube du troisième jour, le vent se calme, le soleil pointe, la mer s’apaise, les enfants se réveillent en forme et nous aussi. Cette période de calme nous permet de faire un peu de rangement dans le bateau, retrouver nos marques et manger un peu.

A la VHF, nous captons même Firiel qui n’est qu’à quelques milles à côté de nous. Nous devons cependant allumer le moteur pour conserver une vitesse soutenue. Il faut impérativement arriver avant « Lee ».

Le quatrième jour ressemble au précédent : mer tranquille et vent aussi, moteur ou voiles. Les enfants peuvent enfin regarder des dessins animés et manger normalement. Nous nous octroyons même le luxe d’une petite douche chaude.

Nous profitons de ce moment pour récurer une énième fois le poêle qui refuse de démarrer. Pourtant, il avait été nettoyé avant le départ. Il finit par s’allumer, non sans lâcher au passage une bouffée de fumée dans le carré, mécontent, peut-être, d’avoir été tiré de son hibernation.

Malgré le calme apparent, l’arrivée nous inquiète. Nous entrons dans la zone de glace et il nous reste encore une nuit d’obscurité devant nous, au mieux. Des nappes de brouillard apparaissent également la journée. Par ailleurs, nous n’avons pas beaucoup d’information météo. Dans notre monde avide de données, l’inconnu est compliqué à gérer.

La dernière nuit est compliquée. Nous savons qu’il y a quatre icebergs dénombrés dans notre zone de navigation. Quatre, c’est très peu, mais largement suffisant pour gâcher notre sommeil. Sans pouvoir compter sur notre radar peu fiable, nous veillons à tour de rôle intensément. Deux quarts de trois heures chacun, cinq minutes dehors pour habituer nos yeux à l’obscurité, cinq minutes dedans pour se réchauffer et on recommence sans relâche.

Après maintes tergiversations, nous décidons d’orienter notre route vers Black Tickle, sur la côte du Labrador, afin de ne pas risquer une arrivée de nuit sur Terre-Neuve. Pourtant, c’est tout comme, le brouillard est tellement dense que nous entrons dans les terres à l’aveuglette. Des silhouettes fantomatiques d’oiseaux traversent la brume dans un silence ouaté.

Nous entendons l’activité du port avant de voir le quai auquel nous amarrer.Cela fait cinq jours que nous avons quitté le Groenland. Il commence à faire nuit, mais les lumières aveuglantes des chaluts dansent autour de nous en un ballet bien réglé. Les pêcheurs nous saluent, bienvenue au Canada !

3 réflexions sur “Une traversée Groenland – Canada entre deux dépressions”

  1. Bravo les 5 !
    Les courageux
    les téméraires !
    Tous plus forts que ce poêle réfractaire !
    On y etait !
    (Heureusement sans y être )
    J ai même senti l oiseau me frôler dans le brouillard !
    Vous arrivez au Canada plus grand de l’expérience,
    Un grand bravo !
    Et vive la tarte au myrtilles ou à ce vous trouverez pour le fêter !

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